Ann. Méd. Vét., 2007, 151 (S), pp 41-46 Contribution à l’étude de la pathophysiologie de la régulation neurohumorale dans la cardiomyopathie dilatée expérimentaleMotte SophieRésumé :
Les principaux résultats rapportés dans
ce travail concernent l’évolution temporelle
de la dysrégulation du système
de l’endothéline (Motte et al., 2003)
et de la balance sympatho-vagale
(Motte et al., 2005b) aux différents
stades de l’insuffisance cardiaque.
L’insuffisance cardiaque induite par
tachycardiomyopathie reproduit sur
quelques semaines le développement
de la cardiomyopathie dilatée depuis
les stades subcliniques jusqu’aux
stades sévères de la pathologie. Les
parois ventriculaires s’amincissent,
les cavités cardiaques se dilatent et
les fonctions systolique et diastolique
se dégradent. Ce modèle permet
d’obtenir une insuffisance cardiaque
ayant une bonne reproductibilité et
présentant comme dans la pathologie
naturelle, des altérations hémodynamiques,
des activations neurohumorales
et une rétention hydro-sodée.
Plusieurs mécanismes peuvent être
à l’origine de la hausse du contenu
myocardique en peptide ET-1 chez les
animaux aux stades modérés de l’insuffisance
cardiaque. Elle peut être
la conséquence d’une augmentation
de la transcription de l’ET-1, puisque
après seulement une semaine de
stimulation ventriculaire rapide, son
expression myocardique est augmentée.
L’accroissement de la conversion
de la forme immature en ET-1 mature
par l’ECE-1 peut également être envisagée.
L’expression cardiaque du gène
de l’ECE-1 même inchangée n’exclue
pas cette possibilité, puisque l’activité
de l’enzyme pourrait être modifiée.
Finalement, une diminution de
la clairance cardiaque de l’ET-1 peut
également induire une augmentation
du peptide ET-1 dans le tissu. Dans
nos expériences, l’expression du gène
du récepteur ETB, connu pour son
implication dans la clairance de l’ET-
1, est progressivement diminuée, ce
qui va dans le sens de cette hypothèse.
Aux stades sévères de l’insuffisance
cardiaque, l’augmentation du marquage
peptidique de l’endothéline-1
sur coupes immunohistochimiques
n’est plus mise en évidence, suggérant
que l’activation de l’ET-1 s’essouffle
dans les stades avancés de la maladie.
Quelques études (Kaddoura et al.,
1996 ; Ito et al., 1994 ; Oie et al.,
1997 ; Tonnessen et al., 1997) rapportent
dans d’autres modèles d’insuffisance
cardiaque, une normalisation
dans le temps du contenu cardiaque du
peptide de l’endothéline-1. Le nombre
réduit d’études rapportant cet épuisement
de l’activation de l’ET-1 est
probablement lié au fait que la majorité
des travaux évaluent l’activation
du système à un moment précis de la
pathologie. L’activation modeste de
l’expression d’ET-1 aux stades sévères
de l’insuffisance cardiaque par rapport
à l’activation lors des stades modérés
pourrait être liée soit à l’épuisement
spontané du mécanisme responsable
de l’accroissement de l’ET-1 cardiaque
soit à la suppression de sa transcription
par des niveaux élevés d’hormones contre-régulatrices.
Les niveaux peptidiques d’ET-1 au
sein du myocarde et de la circulation
ne suivent pas la même évolution temporelle
lors du développement d’une
insuffisance cardiaque expérimentale.
En effet les concentrations plasmatiques
d’endothéline-1 continuent de
s’élever dans les stades décompensés
de la maladie alors que le contenu
cardiaque en ET-1 se normalise. Ces
observations suggèrent que les systèmes
cardiaque et circulant de l’ET-1
pourraient être issus d’une régulation
différentielle. L’élévation des taux circulants
d’ET-1 peut avoir différentes
origines : augmentation de sa synthèse,
augmentation de la conversion
de la big-ET-1 en ET-1 (Ergul et al.,
2001 ; von Lueder et al., 2004), et/ou
diminution de sa clairance (Dupuis
et al., 1998). Etant donné le profil
d’activation biphasique de l’expression
cardiaque de l’ARNm de l’ET-1,
il est peut probable que cette activation
soit à l’origine d’une élévation
progressive et continue des taux plasmatiques
en ET-1. D’autres tissus que
le myocarde, tels que les poumons
(Luchner et al., 2000) ou les vaisseaux
(Yang et al., 2005) sont probablement
impliqués dans l’augmentation des
concentrations plasmatiques en ET-1.
En effet, de nombreuses études ont
démontré l’augmentation de l’ARNm
et du peptide de l’ET-1 au sein des
poumons au cours de l’hypertension
pulmonaire. De même, la diminution
de la clairance de ce peptide par le
récepteur ETB dans le poumon est
rapportée (Dupuis et al., 1998). Dans
ce contexte, il apparaît que l’élévation
des concentrations circulantes en ET-1
pourrait être en relation avec le développement
de l’hypertension pulmonaire
développée par les chiens dans
les stades sévères de la maladie. Par
ailleurs, l’augmentation de l’activité
de l’ECE-1 lors de congestion pulmonaire
semble constituer un mécanisme
fondamental à l’élévation de la
synthèse pulmonaire d’ET-1 et ainsi
contribuerait à l’augmentation d’ET-1
dans la circulation systémique (von
Lueder et al., 2004).
Même si le rôle de l’ET-1 dans l’insuffisance
cardiaque est encore mal
compris, les résultats de cette étude
suggèrent que le blocage de l’ET-1
par des antagonistes pourrait avoir
des effets cardiaques plus importants
dans les stades d’insuffisance cardiaque
précoce et/ou modérée que dans
les stades tardifs caractérisés par l’absence
d’élévation du niveau peptidique
en ET-1.
L’analyse spectrale de la variabilité
de la fréquence cardiaque montre que
dans les stades précoces de l’insuffisance
cardiaque, la puissance spectrale
totale ainsi que la variabilité absolue
de la composante de haute fréquence
sont diminuées de manière importante.
Ceci suggère que la diminution de la
modulation par le système nerveux
parasympathique du contrôle autonomique
cardiaque contribue significativement
à la pathophysiologie de
l’insuffisance cardiaque précoce. La
composante spectrale de haute fréquence
continue à diminuer avec la
progression de l’insuffisance cardiaque,
alors que la composante relative
de basse fréquence comme le ratio LF/
HF, la fréquence cardiaque sinusale
et les concentrations plasmatiques de
norépinéphrine augmentent graduellement,
suggérant un déséquilibre en
faveur du système nerveux sympathique
dans cette pathologie. Cependant,
dans la présente étude, alors que les
stades les plus sévères sont effectivement
associés à une tachycardie et à
une élévation des taux plasmatiques
de norépinephrine, une diminution
paradoxale voire une disparition de la
composante normalisée de basse fréquence
de l’intervalle RR est mise en
évidence. Ces résultats sont en accord
avec la disparition de cette composante
chez des patients en insuffisance
cardiaque avancée, et présentent des
implications pronostiques négatives
(La Rovere et al., 2003 ; Galinier et
al., 2000). Malgré une activation sympathique
marquée, la composante de
basse fréquence de l’intervalle RR
tend à disparaître. Ceci est probablement
liés au fait que les paramètres de
la variabilité de la fréquence cardiaque
sont influencés non seulement par
la régulation de l’activité du système
nerveux autonome, mais aussi par la
capacité de réponse du coeur à ces stimulis
(Malik et Camm, 1993). Or les
stades sévères de l’insuffisance cardiaque
sont caractérisés par une diminution
des récepteurs β-adrénergiques
du myocarde (Bristow et al., 1982), par
une réduction du contenu myocardique
en catécholamines (Eisenhofer et
al., 1996), par un dysfonctionnement
du baroréflexe (Ferguson et al., 1984),
ou encore par une altération centrale
de la régulation de l’activité nerveuse
sympathique (van de Borne et al.,
1997). Par ailleurs, dans cette étude,
la composante de haute fréquence
(ms2) de l’intervalle RR était mieux
corrélée que la composante de basse
fréquence aux perturbations échocardiographiques
et hémodynamiques de
l’insuffisance cardiaque ainsi qu’aux
concentrations plasmatiques en facteur
natriurétique atrial et en norépinéphrine.
Ces résultats suggèrent que
les oscillations de haute fréquence de
l’intervalle RR d’origine parasympathique
constituent un meilleur indicateur
de la sévérité de l’insuffisance
cardiaque congestive que la composante
de basse fréquence qui reflète
d’avantage le versant sympathique
du système nerveux autonome. Par conséquent, l’analyse spectrale de la
variabilité de la fréquence cardiaque
des insuffisants cardiaques doit prendre
en compte non seulement le versant
sympathique mais aussi parasympathique
de l’analyse spectrale.
En conclusion, ce travail a permis de
démontrer la présence, au cours de
la progression de l’insuffisance cardiaque,
d’une régulation différentielle
des versants cardiaque et systémique
et ce tant pour le système endothéline
que pour la balance sympatho-vagale.
Ce travail met également en évidence
les relations étroites entre d’une part
l’évolution des altérations fonctionnelles
et d’autre part l’activation cardiaque
précoce de l’endothéline-1 et
la diminution de la modulation par
le système nerveux parasympathique
du contrôle autonomique cardiaque.
Enfin, ce travail démontre également
que le stade de décompensation cardiaque
est associé à une chute de l’activation
et/ou de la réponse neurohumorale
tissulaire.
Ces résultats impliquent que le choix
de la fenêtre thérapeutique pour les
médicaments à tropisme neurohumoral
doit tenir compte non seulement de la
régulation systémique de ces systèmes
mais également de l’activation
tissulaire et/ou de la réponse tissulaire
à l’activation de ces systèmes. De plus,
l’activation neurohumorale résiduelle
au stade de décompensation cardiaque
pourrait redevenir adaptative. Obtenir le PDF Personne de contact : kmcentee@ulg.ac.be |