Ann. Méd. Vét., 2007, 151 (S), pp 35-40 Dosages de marqueurs biochimiques et identification de mécanismes moléculaires
impliqués dans la persistance de la mammite bovineBoutet PhilippeRésumé :
La guérison d’une vache souffrant
d’une mammite d’origine bactérienne
repose sur l’équilibre entre l’élimination
de l’agent infectieux et la résolution
de la réponse inflammatoire, étapes
toutes deux indispensables au retour
d’une composition normale du lait et
d’un faible taux cellulaire. Le recrutement
rapide de neutrophiles en nombre
suffisant vers la glande mammaire est
un moyen primordial en début d’infection
pour éliminer l’agent pathogène et
permettre la résolution de la mammite.
Suivant la virulence du pathogène impliqué
et l’intensité de la réponse inflammatoire
de l’hôte, le temps nécessaire à
la diminution du taux cellulaire, une fois
l’agent infectieux éliminé, est de quelques
jours, semaines, voire plus encore
(Harmon, 1994). Cette observation
montre qu’infection et inflammation,
bien que liées lors de l’initiation de la
réponse immune mammaire, finissent
par se dissocier. De plus, les infections
subcliniques et chroniques de la glande
mammaire, et particulièrement celles à
S. aureus, se caractérisent par une fluctuation
du SCC et de la réponse inflammatoire
au cours du temps (Sears et al.,
1990 ; Riollet et al., 2001). Hormis la
virulence du pathogène impliqué, quelles
pourraient être les raisons expliquant
la persistance de la réaction inflammatoire
chez certaines vaches ?
La mammite chronique se caractérise
par une accumulation persistante de cellules
dans le lait, le neutrophile étant
le type prédominant, dont la principale
conséquence est la diminution de la production
laitière. Les mécanismes de la
résolution de l’inflammation permettent,
entre autres, de stopper la migration
des neutrophiles et empêchent ainsi
leurs effets néfastes et destructeurs sur
les tissus qui se développent lorsque le
phénomène persiste. Ces mécanismes
primordiaux à la guérison ont été très
peu étudiés dans le cadre de la mammite
bovine.
Il ressort de ce travail que la mammite
chronique semble se caractériser par une
activité neutrophilique permanente mais
insuffisante pour éradiquer le germe
infectieux. Cette activité neutrophilique
serait due, notamment, à une viabilité
accrue induite par des cytokines proinflammatoires,
comme par exemple
le GM-CSF. Ce retard d’apoptose permettrait
ainsi aux neutrophiles d’exercer
leur rôle de cellule immunorégulatrice
en sécrétant diverses cytokines capables
d’amplifier et perpétuer la réaction
inflammatoire. Par ailleurs, la persistance
de l’inflammation dans la mammite
chronique pourrait être liée à des
concentrations trop faibles en LX. Ces
faibles niveaux pourraient dépendre de
l’intensité de la réponse inflammatoire,
trop faible dans la mammite chronique
que pour favoriser l’orientation de
l’activité cellulaire vers la synthèse de
LX (orientation vers une activité 15-
lipoxygénase). La mammite chronique
se caractériserait par conséquent par une
activité cellulaire orientée majoritairement
vers la synthèse d’eicosanoïdes
pro-inflammatoires, comme le LTB4
(orientation vers une activité 5-lipoxygénase).
Des études ultérieures devraient permettre
de clairement élucider les mécanismes expliquant les faibles
concentrations en LXA4 retrouvées
dans le lait des quartiers chroniques et
déterminer si l’administration d’analogues
stables de LXA4 présente un intérêt
thérapeutique dans le traitement
de la mammite chronique bovine. Il
reste encore à démontrer si l’orientation
de la réaction inflammatoire
vers la synthèse de LX ne dépend pas
directement de la virulence du germe
pathogène et donc indirectement de
l’intensité de la réponse inflammatoire
qu’il suscite. La deuxième étude de
ce travail a précisé que les améliorations
systémique et locale suivaient les
rapports LXA4:LTB4 les plus élevés,
suggérant un rôle clé pour LXA4 dans
la résolution de la mammite. Il apparaît
dès lors primordial de réaliser ce
même genre d’étude dans un modèle
d’inflammation subclinique à évolution
chronique induite par une souche
bien caractérisée de Staph. aureus.
La plupart des gènes codant pour des
protéines inflammatoires impliquées
dans la migration et l’activation des
neutrophiles dépendent en partie du
facteur de transcription NF-κB pour
leur activation (Pahl, 1999). Un grand
nombre de bactéries peuvent directement
activer NF-κB dans les cellules
épithéliales et les macrophages, ce qui
déclenche la réponse inflammatoire
(Zhang et Ghosh, 2000). Les cellules
épithéliales et les macrophages activés
sécrètent alors des cytokines proinflammatoires,
telles que le TNF-α,
potentiellement activatrices de NF-
κB dans les cellules présentes au site
infectieux comme les neutrophiles
(Sharma et al., 1998). Cette activité de
NF-κB dans les neutrophiles provoque
la libération de médiateurs, qui vont à
leur tour amplifier la réaction inflammatoire.
La troisième étude de ce travail a
apporté des précisions sur le rôle que
pourrait jouer la PRL dans la mammite
bovine. Il apparaît que la PRL
bovine est capable d’activer NF-κB et
provoque de façon dose-dépendante
la surexpression de cytokines proinflammatoires
sous la dépendance de
ce facteur de transcription dans une
lignée de cellules épithéliales mammaires
bovines. Les fortes concentrations
en PRL retrouvées dans le lait
après la parturition pourrait dès lors
expliquer, du moins partiellement, le
caractère aigu de la réaction inflammatoire
qui se développe particulièrement
à ce moment là. De plus, la
corrélation positive qui existe entre la
concentration en PRL mesurée dans le
lait et le taux cellulaire d’un quartier
pourrait participer au caractère proinflammatoire
associé à la persistance
des neutrophiles dans les quartiers
infectés.
NF-κB est impliqué dans la physiopathologie
de maladies inflammatoires
chroniques, telles que l’asthme, et
son activité est maintenue à un niveau
modéré ou élevé dans les bronches de
chevaux poussifs au moins 21 jours
après l’éviction de l’allergène de leur
environnement (Bureau et al., 2000a).
Ce maintien d’activité dépendrait de
l’interaction entre les granulocytes et
les cellules épithéliales bronchiques
via la rétroaction de boucles autoactivatrices
dépendantes de l’IL-1β et
du TNF-α. Cette activité ne s’arrêterait
qu’après la mort des granulocytes
(Bureau et al., 2000b). L’ensemble de
ces observations suggère que ces neutrophiles
actifs au site inflammatoire
seraient capables d’entretenir l’inflammation
via l’activation de NF-κB,
et que son activité pourrait également
se maintenir un certain temps dans la
glande mammaire, même après l’éradication
du germe pathogène. Il peut
être supposé aussi que seules la mort
et la clairance des neutrophiles permettraient
de stopper les effets directs
et indirects de ces cellules sur la
réponse inflammatoire présente dans
la mamelle.
A l’avenir, la connaissance plus approfondie
des mécanismes d’interaction
entre la bactérie et l’hôte ouvrira de
nouvelles perspectives dans le développement
de stratégies immunomodulatrices
nécessaires à la prévention
ou au traitement de la mammite
bovine. Ainsi, suivant le germe pathogène
impliqué, il serait utile de savoir
si les neutrophiles sont hypo- ou
hyper-fonctionnels, afin de déterminer
s’il faudrait orienter leur activation et
les faire vivre plus longtemps, ou a
contrario s’il faudrait les faire mourir
et donc provoquer leur rentrée en
apoptose. Dès lors, des agents capables
de moduler le déclenchement de
l’apoptose, par exemple en la retardant
au maximum en début d’infection
et en l’accélérant en fin d’infection,
pourraient jouer un rôle thérapeutique
dans la résolution de la mammite
bovine. La quatrième étude a montré
que l’apoptose des neutrophiles isolés
d’un quartier présentant une élévation
persistante du taux cellulaire pouvait
être provoquée ex vivo. L’agent utilisé
n’a pas accéléré l’entrée en apoptose
des neutrophiles isolés du sang. Seule
l’apoptose des neutrophiles présents
au site inflammatoire a été influencée,
une observation en accord avec
d’autres résultats indiquant que l’utilisation
in vivo de cet agent n’affecte
pas la survie de cellules « saines » et
ne bloque pas la fonction des cellules
immunes (Burdelya et al., 2002). Il
reste donc à déterminer si l’induction
de l’apoptose des neutrophiles présents
dans le lait d’animaux atteints
de mammite avec élévation persistante
du taux cellulaire pourrait présenter
une application thérapeutique. Il reste
également à évaluer les effets d’un tel traitement in vivo sur les mécanismes
de défenses de la glande mammaire, et
à élucider comment serait influencée
la virulence de l’agent infectieux.
Il importe également de mieux
déterminer le rôle joué par les
lymphocytes T. Les cellules T sont
apparemment de type suppresseur lors
d’infection à Staph. aureus et pourrait
expliquer, en partie, la persistance
de ce type d’infection. Réorienter
la réponse vers l’expression d’un
phénotype cytotoxique pourrait dès
lors se montrer efficace. L’utilisation
des cellules dendritiques, puissantes
cellules présentatrices d’antigènes
aux lymphocytes T et initiatrices de
la réponse immune, pourrait s’avérer
être une approche intéressante. Il a
été démontré que lors d’infection à
Staph. aureus, la prolifération des
lymphocytes de type cytotoxique
était stoppée par des cellules de type
suppresseur, mécanisme qui pourrait
donc expliquer, du moins partiellement,
la persistance des infections à Staph.
aureus (Park et al., 1993). Différentes
études murines et humaines (Mahnke et
al., 2000 ; Steinman, 2001 ; Bonifaz et
al., 2002 ; 2004) laissent à penser que
l’inoculation de cellules dendritiques
stimulées avec des antigènes bactériens
puissants provoquerait une stimulation
de la réponse lymphocytaire de type
cytotoxique, s’opposant dès lors à la
réponse suppressive apparemment
observée dans les mammites à Staph.
aureus. Un projet actuellement en
cours dans notre laboratoire vise à
transformer des monocytes sanguins
bovins en cellules dendritiques pour
ensuite les stimuler avec un antigène
de Staph. aureus avant de les réinjecter
à l’animal.
Finalement, il importe que les futures
recherches consacrées à l’étude
des mécanismes intervenant dans
l’interaction hôte-pathogène répondent
aussi aux attentes du consommateur.
L’approche vaccinale conserve dès lors
tout son intérêt grâce à son approche
préventive, chère aux yeux de toute la
filière laitière et particulièrement aux
élevages biologiques. Obtenir le PDF Personne de contact : Philippe.Boutet@ulg.ac.be |