Ann. Méd. Vét., 2007, 151 (S), pp 15-20 Caractérisation de la réaction inflammatoire dans la bronchopneumopathie
éosinophilique et l’aspergillose naso-sinusale dans l’espèce caninePeeters DominiqueRésumé :
Nous avons démontré l’absence de
structures lymphoïdes organisées en
follicules dans la muqueuse nasale
et la muqueuse bronchique à différents
niveaux de l’arbre respiratoire
dans l’espèce canine. La présence et
la fréquence de ces structures varient
d’une espèce à l’autre et, au sein d’une
même espèce, en fonction de l’âge. Tout
comme chez les rongeurs, il est possible
que du tissu lymphoïde pharyngé
(« amygdales pharyngées ») joue les
rôles dévolus au tissu lymphoïde associé
à la muqueuse nasale chez le chien.
Il serait dès lors intéressant de vérifier
cette hypothèse par une étude ultérieure
investiguant la présence de tissu lymphoïde
dans le nasopharynx chez le
chien.
Les résultats des marquages immunohistochimiques
et des colorations au
bleu de toluidine réalisés dans les tissus
de chiens indemnes de maladie respiratoire
nous ont servi de référence pour
l’étude des populations leucocytaires
dans l’ANS et la BPE. La localisation
des différents types cellulaires, ainsi
que les différences dans leur nombre
entre les chiots et les chiens adultes et
entre les portions proximale et distale
du tractus respiratoire, étaient grosso
modo similaires à ce qui est décrit dans
d’autres espèces comme l’homme,
les rongeurs ou le cheval (Wilkes et
al., 1992 ; El Kaissouni et al., 1998 ;
Blunden et Gower, 1999).
Nous n’avons pas pu démontrer que des
mécanismes de type Th2 prédominent
dans la pathophysiologie de la BPE.
En effet, nous n’avons pas pu mettre
en évidence d’augmentation de la production
des cytokines de type Th2 par
les lymphocytes T dans la muqueuse
bronchique. Les immunohistochimies
ne nous avaient pas non plus permis de
mettre en évidence de signes indirects
d’une imprégnation de type Th2 dans
la muqueuse bronchique, comme par
exemple une augmentation du rapport
lymphocytes CD4 / lymphocytes CD8
qui, en association avec une infiltration
éosinophilique, suggère un milieu
à prédominance Th2 (Robinson et al.,
1992).
L’absence de différence significative
entre les quantités d’ARNm codant pour
diverses cytokines dans la muqueuse
des chiens avec BPE et dans celle des
chiens « contrôle » ne nous permet
pas de tirer des conclusions quant à la
nature de la réponse immune mise en
place dans la BPE. Bien que les méthodes
utilisées pour la quantification des
ARNm dans nos études aient été validées
(Peters et al., 2004 ; Peters et al.,
2005), l’absence de différence significative
entre les deux groupes pourrait être
liée au gène rapporteur utilisé pour normaliser
nos résultats, en l’occurrence
celui codant pour la GAPDH. Un gène
rapporteur idéal est exprimé de façon
constante d’un individu à l’autre et dans
toutes les cellules, et son expression
n’est pas influencée par des médicaments,
les conditions expérimentales
ou l’état physiologique de l’individu
(Bustin, 2000). Or, il a été démontré
que les concentrations en GAPDH varient
significativement d’un individu à
l’autre ou d’un moment à l’autre chez
le même individu (Bustin et al., 1999),
ou en fonction du stade de développement
ou de l’état physiologique, et
que le gène codant pour la GAPDH est
l’objet d’une régulation transcriptionnelle
complexe. L’utilisation du gène
codant pour la GAPDH comme standard
interne lors de quantification par
RT-PCR n’est donc pas idéale (Bustin,
2000). Cependant, très peu de gènes
rapporteurs ont été étudiés pour l’espèce
canine. Il a par ailleurs été démontré
récemment que des résultats obtenus
par RT-PCR quantitative sont beaucoup
plus corrects s’ils sont le résultat d’une
normalisation basée sur l’utilisation
de plusieurs gènes rapporteurs que
si un seul gène rapporteur, quel qu’il
soit, a été utilisé pour la normalisation
(Vandesompele et al., 2002). Cette
méthode de calcul du nombre de copies
d’ARNm est plus complexe et nécessite
plus de temps que celle faisant appel à
un seul gène rapporteur ; néanmoins,
son utilisation devrait se généraliser
dans le futur.
D’autres facteurs comme le petit nombre
de patients et l’hétérogénéité dans
la sévérité des cas peuvent être en partie
responsables des résultats de notre
étude. Par ailleurs, des types cellulaires
autres que les lymphocytes T, retrouvés
dans les biopsies bronchiques (lymphocytes B, éosinophiles, macrophages
et cellules épithéliales), sont également
capables de produire des cytokines et
il est possible que les quantités réelles
d’ARNm produits par les lymphocytes
T soient « diluées » dans la totalité
des ARNm produits. Dès lors, on
pourrait appliquer les réactions PCR
de nos études à de l’ARN extrait de
lymphocytes T isolés à partir de liquide
de lavage broncho-alvéolaire ou de
biopsies bronchiques, comme cela a été
réalisé dans d’autres études (Zemann et
al., 2003).
En ce qui concerne les chimiokines,
nous avons montré une augmentation
de l’expression des ARNm codant pour
MCP-3, éotaxine-2 et éotaxine-3 chez
les chiens avec BPE par rapport aux
chiens « contrôle », ce qui est similaire
à ce qui est rapporté dans l’asthme chez
l’homme (Ying et al., 1999 ; Berkman
et al., 2001). Ceci suggère que ces
chimiokines participent activement
à l’attraction des leucocytes dans les
bronches lors de BPE. Les éotaxines-2
et -3 attirent spécifiquement les éosinophiles
via le CCR3, tandis que MCP-
3 attire aussi d’autres types cellulaires
(mastocytes, cellules NK, monocytes)
via le CCR2 (Lloyd, 2002 ; Zimmermann
et al., 2003). Les remarques formulées
plus haut concernant les résultats des
cytokines (choix de la méthode de normalisation,
petite taille et hétérogénéité
de la population des chiens avec BPE
et type de prélèvement analysé) sont
également d’application pour les chimiokines.
L’absence d’augmentation de
l’expression des autres chimiokines et
du CCR3 dans les biopsies de chiens
avec BPE demande dès lors confirmation
par d’autres études avant que des
conclusions définitives ne puissent être
tirées.
Chez le chien, l’ANS se rencontre la
plupart du temps chez des individus qui
ne présentent pas d’immunosuppression
systémique (pas de diabète sucré ou
d’hyperadrénocorticisme, pas de leucopénie,
pas de signes d’infection dans
d’autres systèmes) (Sharp et al., 1991).
Les résultats de notre étude histochimique
nous ont amenés à la conclusion
que l’ANS canine est similaire à la
sinusite chronique érosive non invasive
chez l’homme (Uri et al., 2003). En
effet, très peu d’éosinophiles et de mastocytes
étaient présents dans les lésions,
et aucun hyphe n’a été observé envahissant
la muqueuse nasale.
La génération d’une forte réponse
immune à médiation cellulaire de
type Th1, caractérisée par l’activation
de lymphocytes CD4+ produisant de
l’IFN-g et de macrophages produisant
des cytokines pro-inflammatoires
(IL-12, IL-18 et TNF-a) (Cenci et al.,
1997 ; Brieland et al., 2001), est nécessaire
pour acquérir une immunité efficace
contre les infections fongiques
(Romani, 2004). Le très faible nombre
d’éosinophiles et la forte proportion
de lymphocytes cytotoxiques (CD8+)
dans les lésions de nos chiens avec
ANS étaient plutôt en faveur d’une
réponse immune de type Th1 que d’une
réponse de type Th2. L’augmentation
de l’expression de l’IL-18 et du
TNF-a observée chez les chiens souffrant
d’ANS était compatible avec la
mise en place d’une réponse immune et
inflammatoire efficace, mais, par contre,
nous n’avons pas observé de régulation
à la hausse de l’expression de l’IL-12
et de l’IFN-g chez les chiens malades.
Bien que cette absence d’augmentation
doit être vérifiée par une étude faisant
appel à une autre méthode de calcul du
nombre de copies d’ARNm (cfr supra),
ces résultats pourraient être expliqués
par l’augmentation de l’expression de
l’IL-10 observée dans notre étude. En
effet, l’IL-10 est une puissante cytokine
immunomodulatrice qui exerce à la
fois des effets bénéfiques et délétères
sur la réponse de l’hôte à une infection
fongique (Romani, 2004). Cette cytokine
inhibe l’activité anti-fongique et le pouvoir
oxydant des monocytes humains
contre les hyphes d’Aspergillus, tout en
augmentant leur activité phagocytaire
(Roilides et al., 1997). Elle réprime la
production d’IFN-g et des cytokines
pro-inflammatoires dans un contexte
d’infection fongique (Romani, 2004).
Nous avons montré que l’expression
des ARNm codant pour les chimiokines
IL-8, MCP-1, -2, -3 et -4 est augmentée
dans les biopsies de chiens malades
par rapport aux biopsies « contrôle ».
L’induction de l’IL-8 est considérée
comme très importante pour la protection
contre Aspergillus (Tomee et al.,
1997 ; Borger et al., 1999). En effet,
elle est impliquée dans le recrutement
des neutrophiles et la stimulation de la
phagocytose des conidies d’Aspergillus
par ces neutrophiles.
Bien que diverses études in vivo et in
vitro aient rapporté la production de
MCP-1 par les cellules respiratoires
suite à leur exposition à A. fumigatus
(Tomee et al., 1997 ; Morrison et al.,
2003), les rôles exacts de cette chimiokine
dans l’élimination du champignon
ne sont pas encore élucidés. Par
ailleurs, il existe très peu de données
dans la littérature scientifique sur
l’expression des autres chimiokines
MCP en cas d’infection par Aspergillus
(Blease et al., 2001). Les résultats de
notre étude suggèrent en tout cas que
toutes les chimiokines MCP participent
à l’élaboration de la réaction inflammatoire
lors d’ANS chez le chien. Obtenir le PDF Personne de contact : dpeeters@ulg.ac.be |