Ann. Méd. Vét., 2005, 149 (C), pp 33-40 Régulation de l’expression des gènes de virulence
par «quorum-sensing» : science ou science-fiction ?MAINIL J.Résumé :
L’expression des gènes bactériens est régulée par des mécanismes très stricts de contrôle sous l’influence des conditions du milieu extérieur. Les exemples classiques sont les régulations positives et négatives exercées par le lactose et le tryptophane respectivement sur les expressions des opérons lac et trp. Ce qui est beaucoup moins connu, est que l’expression de nombreux gènes dans une cellule bactérienne est sous la dépendance de la présence et de la concentration de molécules sécrétées par des cellules appartenant à la même espèce. Ces molécules ont été appelées «autoinducteurs
» (AI). Comme ce mécanisme de régulation dépend de la concentration de l’AI dans le milieu, donc du nombre de cellules bactériennes présentes dans l’environnement immédiat, il a aussi reçu la dénomination de «quorum-sensing» (QS).
Le phénomène de QS fut observé pour la première fois dans les années 1950 avec deux espèces bactériennes marines émettrices de lumière, Vibrio fischeri et Vibrio harveyi. De nombreuses expériences réalisées dans les années 1970 et 1980 ont permis de comprendre progressivement le fonctionnement général ainsi que moléculaire et la génétique du QS dans Vibrio fischeri. L’AI fut ainsi identifié à un dérivé d’homosérine lactone (HSL), sa concentration seuil mesurée et les gènes qu’il régule et qui sont
responsables de l’émission de lumière, clonés et séquencés (gènes lux).
Par la suite, d’autres systèmes apparentés (systèmes Lux-like) de QS utilisant des dérivés d’HSL ont été décrits dans diverses bactéries Gram négatives. Des systèmes de QS de complexité variable existent aussi chez les bactéries Gram positives, mais les plus répandus utilisent des oligopeptides comme AI. De plus, un système de QS qui pourrait représenter une langue commune à de nombreuses espèces bactériennes a aussi été décrit et dénommé «Esperanto».
La plupart des systèmes de QS sont eux-mêmes soumis à différents circuits de régulation existant
dans la cellule bactérienne et ces différents circuits sont eux-mêmes soumis aux influences de stimuli présents dans le milieu extérieur. Parfois, ces stimuli proviennent d’un hôte eucaryote avec lequel les bactéries développent une relation symbiotique ou pathogène. Les gènes régulés par QS codent pour diverses fonctions importantes pour la survie bactérienne, au niveau individuel ou de la population, dans l’environnement extérieur ou chez l’hôte, dans des circonstances précises, en règle générale
lors de concentrations importantes en cellules bactériennes (microcolonies ou flore multi-bactérienne, par exemple) : production d’antibiotiques ou de bactériocines, conjugaison plasmidique, sporulation, formation de biofilms, mobilité, diverses propriétés de virulence…
Il est intéressant de comparer les systèmes bactériens de QS utilisant des AI avec les systèmes de communication entre individus basés sur des phérormones chez les plantes et les animaux ou entre organes d’un individu basés sur des hormones peptidiques chez les animaux.
Comme les systèmes de QS régulent l’expression de gènes en fonction de la concentration de l’AI (= science), est-il possible d’imaginer manipuler dans le futur ces systèmes en jouant sur la concentration de l’AI ou en apportant des antagonistes des AI (= science-fiction) ? Par exemple, réprimer l’expression de gènes impliqués dans la virulence de bactéries pathogènes en manipulant les systèmes de QS à la base de leur expression pourrait représenter un moyen de remplacer partiellement ou totalement les antibiotiques dans la lutte antibactérienne en médecine humaine et vétérinaire. Obtenir le PDF Personne de contact : JG.Mainil@ulg.ac.be |