Ann. Méd. Vét., 2005, 149 (C), pp 15-23 Développement de la maladie : toxines bactériennes et leurs interactions avec les cellules de l’hôteMAINIL J.Résumé :
L’étape ultime dans les infections bactériennes est la production d’un effet délétère sur l’hôte avec le développement de lésions cellulaires et tissulaires provoquant des troubles de fonctionnement de divers organes et des signes cliniques. L’effet délétère peut être la conséquence de la production par la bactérie de protéines agissant en perturbant spécifiquement la structure ou le métabolisme des cellules de l’hôte. La première description d’une telle protéine date de 1888, quand deux chercheurs français, Emile Roux et Alexandre Yersin identifièrent la « toxine » diphtérique. Le mot « toxine » utilisé par Roux et Yersin trouve son origine dans le mot grec « toxicon », qui signifie « poison ». Durant la fin du 19e siècle les toxines tétanique et botulique furent décrites par K. Faber en 1889 et par E. van Ermengem en 1898. Et bien d’autres toxines bactériennes furent décrites pendant le 20e siècle.
Aujourd’hui, ces toxines bactériennes sont souvent appelées « exotoxines », même si toutes ne sont pas sécrétées dans le milieu extérieur par la bactérie, pour les différencier des endotoxines, qui représentent des molécules de nature non protéique attachées à la cellule bactérienne, comme les lipopolysaccharides (LPS) des bactéries Gram négatives et les acides teichoïques des bactéries Gram positives. Ces différentes (exo)toxines bactériennes sont aujourd’hui classées selon leur structure et
leur méchanismes moléculaires d’action sur les cellules de l’hôte.
Diverses toxines sont ainsi appelées « cytolysines », car elles provoquent la lyse des cellules cibles en agissant sur les membranes cytoplasmiques des cellules cibles. Elles comprennent des phospholipases qui hydrolysent les glycéro-phospholipides et les sphingolipides de ces membranes cytoplasmiques, et trois groupes de toxines formant des pores dans l’épaisseur des membranes cytoplasmiques
: celles proches de l’aérolysine d’Aeromonas hydrophila, celles dites dépendantes du cholestérol avec la listériolysine de Listeria monocytogenes et la famille phylogénétique des toxines RTX (Repeats in ToXin) dont le représentant type est l’hémolysine ? d’Escherichia coli.
De nombreuses autres toxines se caractérisent par une structure de type dimérique et un activité
intracellulaire. Elles sont formées de l’assemblage d’une copie d’une sous-unité A et d’une à plusieurs copies d’une sous-unité B, ou d’une seule protéine subdivisée en une domaine A et un domaine B.
Les sous-unités/domaines B sont responsables de l’attachement de la toxine à la cellule cible sur un récepteur spécifique, tandis que les sous-unités/domaines A sont porteurs de l’activité toxique de la protéine. Après internalisation par endocytose et passage dans le cytoplasme, les sous-unités/domaines A interagissent avec leurs molécules cibles de diverses manières (ADP-ribosylation ou autre modification accroissant ou réduisant leur activité ; hydrolyse d’ARN ribosomal ou d’ADN ; inhibition de la sécrétion d’un neuromédiateur…) perturbant le métabolisme et diverses fonctions cellulaires.
Certaines toxines possèdent une activité enzymatique intrinsèque.
Les toxines d’un troisième groupe sont des oligopeptides qui agissent par activation, après liaison sur un récepteur transmembranaire spécifique, d’enzymes intracytoplasmiques des cellules cibles provoquant l’initiation d’une cascade d’événements intra-cellulaires et perturbant aussi le métabolisme et diverses fonctions cellulaires.
Les gènes qui codent pour les toxines bactériennes peuvent être d’origine étrangère (en ce incluant une origine eucaryote) et peuvent être localisés sur des bactériophages, des plasmides, des transposons et des îlots de pathogénicité, toutes structures qui seront décrites pendant la 3e leçon. L’expression de nombre de ces gènes est régulée par les conditions de croissance des bactéries (paramètres physicochimiques du milieu extérieur, température, tension en O2…).
Les toxines bactériennes ont aussi été utilisées par l’homme avec des buts très différents. Déjà à la fin du 19e siècle, elles furent utilisées, sous forme d’anatoxines, comme composants de certains vaccins pour prévenir des maladies comme la diphtérie, le tétanos et le botulisme. Une des toxines botuliques est aussi utilisée comme agent thérapeutique. Malheureusement, l’homme a aussi eu recours aux toxines
bactériennes dans le cadre de la guerre ou du terrorisme bactériologiques (toxines charbonneuse et botuliques). Leur futur réside plus que probablement dans l’utilisation de dérivés non toxiques des cytolysines comme porteur d’épitopes pour la production d’anticorps contre divers facteurs de virulence ainsi que des toxines à activité intra-cellulaire pour délivrer des médicaments anti-cancéreux à l’intérieur même des cellules eucaryotes. D’autre part, les sous-unités/domaines B des toxines dimériques peuvent aussi servir de transporteur à des anticorps monoclonaux produits contre, par exemple, un antigène de surface marqueur d’une lignée de cellules cancéreuses. Obtenir le PDF Personne de contact : JG.Mainil@ulg.ac.be |